Commémoration de la libération de Montpellier (25 août 2019)


Montpellier, à l’instar de nombreuses villes, commémore ˚sa libération 1944˚ le dernier dimanche du mois d’août.

 

Cette commémoration se passe en 3 temps et 3 lieux :

 

- 9h, évocation et dépôt de gerbes à l’emplacement de la Villa des Rosiers (6 rue de Castelnau), siège de la Gestapo où est apposée une plaque.

Extrait d’un texte "Les interrogatoires" d’un survivant lu par Joëlle Urbani, petite nièce de Enrique et Elise Piñol, résistants assassinés par la milice (voir ci-après) en juillet 1944 :

 

"Mais c'était à la villa des Rosiers que se trouvait la chambre des tortures de laquelle les prisonniers ne sortaient guère que sur une civière. La vue du sang sur le brancard qui s'y trouvait et dans les lavabos, édifiait le détenu dès son entrée, sur la cruauté des interrogateurs.

Sur une table étaient installés les instruments de torture les plus inattendus : casque électrique, menottes tranchantes, longues aiguilles de grosseur différente, fer à souder et à repasser, cordes, spéculum, ampoules de liquide, seringues, etc...

C'était, dépouillées de leurs vêtements que les victimes subissaient les tortures. La chaise électrique a aussi joué son triste rôle.

 

Il y eut aussi à la villa des Rosiers, d'autres tortures ; tortures morales et physiques, tortures inavouables et impossibles à décrire, je les tairai donc volontairement et... par pudeur.

Lorsqu'après un interrogatoire, le prisonnier que l'on ramenait en prison, se trouvait dans un état trop pitoyable, il était mis au secret ; c'était l'isolement complet afin qu'il ne puisse pas faire connaître aux autres la manière dont il avait été traité.

Malgré cette précaution, les prisonniers parvenaient souvent à aviser leurs camarades et à leur donner des conseils.

Je terminerai ce rapport, en soulignant une fois encore par le fait suivant, la crainte justifiée des interrogatoires.

 

Le cachot attenant au mien était occupé par un jeune homme âgé d'environ 21 ans ; il avait toujours fait preuve d'un grand courage et d'un sang-froid admirable.

Un matin, après avoir été privé de nourriture pendant quatre jours, il dut subir un interrogatoire ; celui-ci dura 11 heures.

À son retour au cachot (il était 22 heures environ), je l'entendis se plaindre et pleurer ; je frappai au mur, et alors d'une voix déjà éteinte et par des phrases entrecoupées, il me raconta les tortures qui lui avaient été infligées.

 

Sa souffrance physique était à son comble ; cependant la souffrance morale l'emportait, et voici ses derniers mots :

« Ils — les policiers — m'ont dit que demain ils recommenceraient, mais j'ai surtout peur qu'ils me fassent boire pour me faire parler. J'ai peur de perdre le contrôle de moi-même. Ils n'auront rien de moi, ils ne sauront rien, je préfère mourir. »

 

Mes appels répétés restèrent sans réponse. Un grand silence régnait dans son cachot ; le silence de la mort. Mon voisin d'infortune avait mis fin à ses jours pour sauvegarder la liberté et la vie de ses chefs...

 

La Villa des Rosiers est devenue tristement célèbre, elle restera toujours un cauchemar pour ceux qui l’ont connue." 

- 9h20, déplacement en cortège, porte-drapeaux en tête, autorités, élus et le public jusqu’à la cité scolaire Françoise Combes (ex-École Militaire Supérieure d’Administration et de Management).

Les lieux n’ont pas très changé sauf qu’il n’y a plus de mât des couleurs, ni de lauriers roses dans la Cour d’honneur.

- 9h30, évocation et dépôt de gerbes devant la plaque commémorative rappelant l’existence des geôles et des salles de torture de la Milice. Le commissaire général Véran Cambon de Lavalette, ancien résistant et déporté, avait tenu quand il commandait l’EMA, appellation dans les années 70, à préserver le site. Il aimerait apprendre qu’une démarche commune du préfet de l’Hérault et du maire de Montpellier va aboutir dans les prochains jours pour que le site soit classé au titre des Monuments Historiques. Il sera ainsi "sacralisé" pour en garder la valeur mémorielle.

Extrait de l’allocution de William Garrivier, président de l’UNADIR-FNDIR (Union nationale des anciens déportés) de l’Hérault :

 

"Ici, dans la « Caserne de LAUWE », les tortures étaient identiques à celle de la Villa des Rosiers, exceptée la chaise électrique. Elles étaient pratiquées par des miliciens fanatiques comme TORTOSA ou encore CORDIER, ou d’autres encore qui tortureront les Résistantes et les Résistants jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Ce fut le cas du couple PIGNOL (Piñol) arrêté le 27 juin, dans leur appartement de Béziers, par DESCAMPS, chef du 2e bureau, accompagné de 4 miliciens.

Monsieur PIGNOL, 57 ans, est représentant en produits de pâtisserie, son épouse, née CARBONNE, l’aide dans sa gestion. Leur appartement sert de boîte à lettres, d’entrepôt de tracts et de matériel et de temps en temps de « planque ».

Ils seront internés dans ces cellules et subiront des interrogatoires musclés entre le 4 et le 17 juillet : 13 jours c’est long, très long…

Le 12 juillet, Monsieur PIGNOL perd sa voix, le 14 il succombe. Son corps est entreposé dans la cellule contigüe à celle de son épouse, et on le laisse se décomposer.

Son épouse a les maxillaires brisés, les dents arrachées, le nez fracturé et de multiples plaies sur tout le corps.

Le 17 juillet, on vient la chercher pour un ultime interrogatoire, en lui faisant remarquer que l’odeur épouvantable provenant de la cellule contigüe est celle du cadavre de son époux !

Le 18 juillet, un médecin détenu est requis et découvre Madame PIGNOL pendue à la porte par un fil de fer, recouvert d’un tissu. Son observation le conforte dans l’idée « qu’elle a été pendue ».

À l’arrivée des autorités, l’après-midi, le corps n’est plus pendu à la porte mais au milieu de la cellule pour faire croire à un suicide.

Jean GUIZONNIER, chef du mouvement uni de la Résistance de la Ville, le MUR, capitaine des sapeurs- pompiers et chef de service municipal, sera arrêté le 8 août. Il sera torturé à mort par CORDIER.

Germaine BOUSQUET l’apercevra, couvert de sang, un œil hors de son orbite, alors qu’elle allait elle-même passer en interrogatoire.

Raoul BATANY sera torturé mais mourra d’une balle dans la bouche le 18 août. Son corps sera retrouvé, jeté dans une fosse avec celui de Jean GUIZONNIER, en septembre grâce aux informations d’un milicien originaire de Ganges.

TOUTES et TOUS n’auront livré aucun de leurs secrets, ils seront morts sans parler, faisant le sacrifice de leur vie pour éviter l’arrestation d’autres Résistants.

Tous les autres prisonniers seront libérés le 19 août par le corps franc d’Henri GLAZER, dit Capitaine LEON.

Un jour Henri MAS, Déporté Résistant, m’a raconté une anecdote concernant Raoul BATANY :

« Recherché à Montpellier, il travaillait à ce moment-là, en 43, à l’état-major du réseau MITHRIDATE, sous les ordres du colonel BRESSAC à Clermont-Ferrand, avec comme chef direct le capitaine CAUDRON dit BENGALI.

Il reçoit l’ordre de transporter de la « mélinite », un explosif très sensible pour Toulouse.

Avec beaucoup de précaution, il prend le train, pose son sac sur un siège avant de s’éloigner tout en le surveillant.

Arrivé en gare de Nîmes, il voit Raoul BATANY, l’agent de liaison de COMBAT, monter dans le wagon, prendre ledit sac et l’envoyer dans le filet, sans ménagement.

N’ayant pas produit d’explosion, ils en ont rigolé après coup dans le couloir. »

Au-delà des mots, ces cellules sont les derniers témoins de l’héroïsme de ces Résistantes et Résistants qui ont bravé l’ennemi afin de rétablir la République démocratique, et pour que nous puissions être libres alors qu’ils ont sacrifié leur liberté et leur vie."

 

- 11h, cérémonie au monument aux morts de toutes les guerres avec allocution de Philippe Saurel et du préfet (secrétaire général) en l’absence de titulaire qui a pris ses fonctions le lendemain.

 

Il est regrettable qu’il n’y ait pas plus de monde à ces cérémonies.

Claude Gradit